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Un voyage pas comme les autres

  • Photo du rédacteur: Marjorie
    Marjorie
  • 12 janv. 2024
  • 5 min de lecture

Dernière mise à jour : 16 janv. 2024

Nous sommes le 20 février 2022. Je suis à l’aéroport avec mon amie Juana. Nous partons ensemble pour le Guatemala. Je suis fébrile. C'est la première fois que je m'y rend dans le contexte de mes recherches. En arrivant à l’aéroport de La Aurora, la famille de Juana l’attend. La scène me touche énormément. Je rencontre alors pour la toute première fois sa maman, après en avoir souvent entendu parler et l’avoir vu à la télé.  


Je souhaite prendre un moment avant de poursuivre pour parler de cette femme. Résiliente et battante, elle est un peu comme la maman de tous les adoptés qui entreprennent leur recherche. Sa sensibilité à notre quête, à nos douleurs et à nos espoirs est d’un réconfort absolu. Je ne pourrai jamais la remercier assez de m’avoir accueillie chez elle à bras ouvert et de m’avoir donné espoir qu’un jour, je retrouverais ma maman moi aussi.  


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Une fois les connaissances faites. Juana et moi partons chacun de notre côté, vers nos destinations respectives. Sur le chemin vers la maison à bord du taxi, je regarde attentivement par la fenêtre. C’est la première fois que je reste dans la capitale. Habituellement, je quitte le plus rapidement possible pour me rendre vers les villes avoisinantes. 

 


La maison dans laquelle je passe mon séjour se situe dans la zona 2. Les rues sont calmes. À mon arrivée, je suis accueillie par Tiago, un ami de la personne que je rejoins et qui séjourne lui aussi dans la maison. Cette personne a été le coup de cœur de mon voyage. Je n’aurais jamais pu traverser toutes les émotions qui m’ont envahies lors de ce séjour sans lui.  

 


La chambre que j’occupe est grande. Elle est sur une terrasse au deuxième étage. Ce soir-là, je m’endors la tête pleine et qui tourne à 100 mille à l’heure, mais heureuse.  


Ma chambre durant le voyage.


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Une des premières choses que nous avons planifié de faire est de rencontrer les gens de la Liga Guatemalteca de Higiene Mental (Ligue Guatémaltèque d'hygiène mentale). Nous nous présentons donc au rendez-vous donné, dans leurs locaux. En s’y rendant, nous passons devant l’Hospital General San Juan de Dios. C’est à cet endroit que je suis venue au monde. Je prends quelques instants pour regarder. Pour m’imaginer. Que s’est-il passé après l’accouchement de ma maman?  

 


La rencontre avec les gens de la Liga est très intéressante. Ceux-ci offrent de l’aide et de l’accompagnement à ceux et celles qui cherchent leur famille. Nous parlons du contexte dans lequel le réseau de trafic d’enfants a émergé et les conséquences qui sont toujours présentes à la suite des 30 ans de conflit interne.


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Hospital San Juan de Dios, zona 1.



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Me promener dans les rues de la capitale me rend heureuse. Il y a de l’actions, beaucoup plus que dans les autres endroits où j’ai été lors de mes voyages précédents. Des magasins, des restaurants, des cafés et le marché central.



C’est endroit est une vraie caverne d'Alibaba. Au premier étage, on peut y acheter des fruits et légumes frais, des fleurs, de la viande, des épices, etc. C’est par ailleurs à cet endroit que je me rendrai à quelques reprises pour manger un des meilleur caldo! Puis au second étage, ce sont des artisans qui vendent des souvenirs. Des heures et des heures à fouiner pour dénicher des petites merveilles.  



Je ne me promène jamais seule. J’aimerais, mais je n’ose pas. En discutant avec Tiago, il me donne la confiance suffisante pour m’aventurer un peu. Je me rends donc dans un café près de la Sexta Avenida, pour passer un moment en tête à tête avec moi-même. Je me sens libre. Je suis « chez moi » et je profite de cet instant.  


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Aujourd’hui, nous avons un rendez-vous à la FAFG (Fundación de Antropología Forense de Guatemala/Fondation d'Anthropologie Forensique de Guatemala). L’endroit est juste en face de la maison où je demeure. Je vais aller déposer mon ADN dans leur banque de données. Lors du génocide ayant eu lieu au Guatemala, beaucoup de gens ont été tués et enterrés dans des fausses communes. Aujourd’hui, la FAFG s’occupe d’analyser les ossements qui sont retrouvés pour en extraire l’ADN et lorsque possible, faire les liens avec les familles des disparues.  

 


Je raconte mon histoire à la personne qui nous reçoit. Je ne sais pas si ma maman est morte. Je ne sais pas si mon père l’est non plus. Je ne connais pas mon histoire, ni même clairement la région d’où je viens réellement. Toutefois, cette option reste une possibilité Après tout, près de 200 000 guatémaltèques ont été assassinée et 45 000 autres sont disparus durant cette période. ¹ 


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Nous nous rendons au bureau de la RENAP pour faire mon DPI. Je suis accompagnée d’amis et d’un avocat. J’ai besoin de quelques documents et de débourser quelques quetzales, mais après quelques heures, la demande est faite. Il ne reste plus qu’à attendre qu’on m’appelle pour me dire que ma carte est prête. J’espère que ce sera avant mon départ, car j’aimerais vraiment l’avoir.  

 


J’en ai parlé dans un article précédent, mais c’est aussi ce jour-là que j’ai découvert que les instances gouvernementales avaient changé mon acte de naissance pour en produire un avec le nom de mes parents adoptifs.  

 

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Hommage aux disparus du Caso Tactic, en présence de leurs familles, devant le Palais de Justice de Guatemala.



Le 24 février 2022 a eu lieu le procès de José Manuel Castañeda Aparicio.


Ancien commandant militaire dans la municipalité de Tactic, situé dans le département Alta Verapez, durant le régime de Efraín Ríos Montt. Casteñada est accusé de la disparition forcée de 3 leaders communautaires; Rodolfo López Quej (22 ans), Francisco Guerrero López (18 ans) et Jacobo López (42 ans), dans la nuit 25 et 26 janvier 1983. Les familles des disparus les ont donc cherchées durant des années.
Les ossements de Jacobo López ont été exhumés dans la zone militaire 21 de Cobán, dans le Alta Verapaz et ont identifiés par le processus ADN de la FAFG. Les ossements de plus de 500 personnes ont également été retrouvés sur ce même site. Quant aux deux autres leaders disparus, ils n’ont toujours pas été retrouvés. ²

  

Nous sommes allés, en soutien aux familles des disparus, devant le Palais de Justice la journée de l’audience. Casteñada a reçu une sentence de 45 ans de détention pour les crimes qu’il a commis. 


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Commémorations du Día de la Dignidad de las Víctimas del Conflicto Armado Interno.



Le lendemain, 25 février, nous participons à la marche organisée le Día de la Dignidad de las Víctimas del Conflicto Armado Interno (Journée de la Dignité des Victimes du Conflit Armée Interne).  

  

Le 25 février 1999, la Commission de Clarification Historique a présenté le rapport « Guatemala : Mémoire du silence », révélant les actes commis contre les populations indigènes, les disparitions forcées et les exécutions extrajudiciaires commises contre la population civile, par l'armée guatémaltèque.
Le rapport recommande que l'État guatémaltèque établisse que chaque 25 février, la « Journée nationale pour la dignité des victimes du conflit armé interne » soit commémorée à travers le Programme National de Réparations. 
Cette journée « vise à honorer tous les hommes et femmes survivants et à honorer la mémoire de ceux qui ont été massacrés, exécutés et disparus entre les mains de l'armée en raison de la politique exercée par l'État », qui a été approuvée par le Congrès du Guatemala en 2004, par le décret numéro 06-04. ³  

  

Durant cette marche, mes amis et moi tenons une banderole avec l’inscription : à nos familles nous vous crions, où êtes-vous? 


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C’est ce soir que nous allons faire de l’affichage dans les rues. Je suis fébrile et un peu stressé pour être honnête. Nous nous rassemblons tous près de la place centrale. Mon amie Juana et sa maman sont présentes. Des membres du regroupement H.I.J.O.S. Guatemala le sont aussi. C’est assez surréaliste pour moi de voir mon affiche placardée sur les murs à la vue de tous. Je fais des démarches depuis un moment déjà, mais cette étape est plus symbolique que les autres.  

 


J’ai l’impression de crier haut et fort que je cherche ma maman. Que je veux retrouver ma famille. Que je veux connaître mon histoire. 


Soirée d'affichage dans les rues de la capitale.


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La fin du voyage arrive déjà. Les deux dernières semaines ont passé rapidement, mais ont été très chargées en émotions. Je n’ai pas tout écrit en détail, mais j’ai aussi fait plusieurs de rencontres, entendu des récits aussi incroyables qu’effroyables et vécu des beaucoup de frustrations dû à la barrière de langue.  



Pour cette dernière soirée, je vais souper chez Juana. Sur le chemin, je ne pleure comme une enfant. Tiago est présent dans le taxi avec moi et me console.  

 


Ce sentiment de déchirure est présent chaque fois que je quitte le Guatemala, et jusqu'à ce jour, est toujours présent.  


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1 commentaire


Michèle Desmarais
Michèle Desmarais
29 févr. 2024

Chère Marjorie, ton récit m'a ému aux larmes. Quel courage tu as démontré durant toutes ces étapes de ta recherche. Je suis si heureuse pour toi qu'elles aient porté fruit.

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