Les retrouvailles
- Marjorie
- 30 mars
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : 30 mars
J’atterri dans à peine une heure. Pour une fois, j’aurais préféré que mon vol soit beaucoup plus long. J’ai pris la décision de venir seule. Je n’ai aucune idée des sentiments qui m’habiteront, de mes réactions et encore moins de celles de ma famille.
Je me suis permise de me louer une petite chambre d’hôtel, non loin de chez ma maman. L’idée d’avoir un espace pour me retrouver, pour pouvoir me cacher et laisser mes émotions m’envahir au besoin me rassure.
Pour le reste, je n’ai rien planifié ni rien imaginé. Je n’ai pas voulu me faire d’attente. Tout ce que je sais, c’est que dans à peine une heure je serai à l’aéroport de Raleigh-Durham et que ma vie changera pour toujours.
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Je suis débarquée de l’avion. J’écris à ma petite sœur que je suis arrivée.
C’est ma maman, mes sœurs Lesli et Odalis, mon petit frère Brian et mon neveu Gerald, qui viennent me chercher. Il me serait impossible de décrire comment je me suis sentie à cet instant même. En revanche, dans l’heure et demie qui a suivie, j’ai été stressée et fâchée. En effet, j’ai appris assez rapidement que mon problème de retard, je ne le retiens pas des voisins.
J’ai eu le temps d’avoir envie de reprendre l’avion en direction de Montréal, d’imaginer des familles entrant à l’aéroport être la mienne, de me dire que de me retrouver n’était pas si important puisqu'ils sont en retard pour venir me chercher¹, bref.
Ma sœur m’envoie un message. Ils sont stationnés devant la porte 2. Toutes les pensées dans lesquelles j’étais en train de me perdre disparaissent. Elle est là. Debout près de sa voiture avec ma petite sœur à ses côtés. Je la reconnais, c’est elle. Après 30 ans, je la vois de mes propres yeux, ma maman.
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Nous embarquons dans la voiture. Je suis assise à l’avant et Lesli conduit. Nous avons environ une heure de route à faire. Les premières minutes sont silencieuses. Ma sœur tente de me faire la discussion mais à ce moment, mon espagnol n’est pas aussi avancé qu’il l’est aujourd’hui. De plus avec le stress, j’ai de la difficulté à bien la comprendre.
Bizarrement, malgré tout, je me sens bien. Je suis assise dans une voiture avec des personnes que je ne connais pas et avec lesquelles je vais passer les prochains jours, mais je me sens bien. Ce sentiment me fascine et me rend triste en même temps.
Comment est-ce possible que je me sente aussi bien dans ce contexte. Est-ce que c’est ça, des liens de sang? Des liens qui, malgré la distance et les années, coulent dans mes veines et font en sorte que je me sente en confiance et à l’aise directement? Ce qui me rend triste, c'est aussi le fait que ces mêmes personnes qui me sont inconnues, ce sont les membres de ma famille.
Nous arrêtons au restaurant sur le chemin. Je me prends un verre de vin car mes nerfs en ont besoin. J’ai encore de la difficulté a réaliser que je suis assise avec avec ma famille. Ma maman. Mes sœurs, mon frère et mon neveu. Tranquillement, nous commençons tous à être un peu moins gênés. Nous discutons de tout et de rien, puis nous reprenons la route.
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Nous arrivons en début de soirée. Ma maman habite dans une maison mobile. Odalis, Gerald et Brian vivent avec elle. Il y a également le conjoint de ma maman, Hilario. Ce sont beaucoup de personnes pour un espace aussi restreint. Dans la maison mobile voisine vivent Lesli et son copain, José.
Lorsque je dis à ma maman que j’ai loué une chambre d’hôtel à quelques minutes de distance, je vois bien qu’elle ne comprend pas du tout et que cela ne fait pas de sens pour elle. En vrai, je me sens assez à l’aise pour rester avec eux déjà cette nuit de toute façon. Je m’installe donc dans sa chambre qu’elle m’a gentiment laissée.
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Bien sûr, je ne bombarderai pas ma maman de questions sur son passé alors que c’est la première fois que je la vois. Lors de nos échanges par message, avant que je vienne la rencontrer, elle m’avait quand même déjà donné quelques bribes d’informations. Alors que nous avons un moment seul ensemble, elle me raconte.
Lorsqu’elle est tombée enceinte de moi, ma maman avait déjà trois garçons. Mes frères aînés Oldyn, Esvin et Edy. Quelle heureuse nouvelle pour elle lorsqu’elle a appris que cette fois-ci, elle attendait une fille. Ce ne fût toutefois pas la même réaction de la part de mon père². Selon lui, élever une fille serait plus de trouble que d’élever un garçon. N'étant pas du même avis que lui, elle a préparé mon arrivée et m'a acheté des vêtements.
Ma maman s’est rendue à l’hôpital San Juan de Dios, dans la zona 1 de Guatemala Ciudad, pour me donner naissance. Je suis née en matinée. Nous avons passé la journée ensemble. J’ai été dans ses bras et elle m’a allaité. Ce furent nos premiers moments passés ensembles. Et les derniers.
En soirée, une infirmière est venue me chercher pour me faire des tests puis, je n’ai jamais revu ma maman. Lorsqu’elle a demandé pour moi à l’infirmière, elle lui a dit que mon père était venu me chercher.
À sa sortie de l’hôpital, ma maman s’est donc rendue chez lui, mais je n’y étais pas. Après plusieurs tentatives pour avoir de l'information, mon père n’a jamais voulu lui dire ce qu'il savait et où j'étais. Leur dernier échange s'est d'ailleurs très mal passé. La femme pour qui travaillait ma maman lui a alors recommandé de consulter une avocate : Me Susana Lina Gonzalez Munoz³.
C’est donc sous cette recommandation que maman s’est présentée au bureau de cette avocate pour signer des documents afin qu’elle, soi-disant, l’aide à me retrouver. Après plusieurs jours sans aucun suivi, ma maman y est retournée. Elle a été chassée et on lui a fortement suggéré de ne plus jamais revenir sinon, elle se ferait arrêter.
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J’ai montré à ma maman certaines pages de mon dossier d’adoption que j’avais en photos. Elle me dit que ce n'est pas elle qui a écrit la lettre expliquant pourquoi elle m’a donné en adoption qui figure dans mon dossier. Elle affirme aussi qu’il ne s’agit pas de sa signature et me montre, sur son permis de conduire, comment elle signe. Tout autant que moi, elle a des questions et elle aimerait comprendre. De ce qu’elle se souvient, la fille de la femme pour qui elle travaillait a soudainement eu, peu de temps après ma naissance, suffisamment d’argent pour s’acheter une maison avec son conjoint. Y a-t-il un lien à faire? Après tout, ce sont eux qui lui ont suggéré de consulter Me Susana Lina Gonzalez Munoz.
J’ai demandé à ma maman si elle pense que mon père pourrait être responsable de quelque chose. Selon elle, il aurait pu me confier à quelqu’un d’autre afin qu’on prenne soin de moi, mais jamais il ne m’aurait vendue ni confiée à des gens qui avaient cette intention.
Quand je regarde le visage de ma maman, je vois dans ses yeux qu’elle parle de lui avec tendresse. Je ne sais donc pas si elle pourrait être en mesure d’envisager la possibilité qu’il soit impliqué. Ce que je sais cependant, c’est que je n’aurai jamais l’opportunité de lui demander puisqu’il est décédé. J’ai demandé à ma maman de voir une photo de lui, puisqu’elle me dit que je lui ressemble. Malheureusement, ça non plus, ce ne sera pas possible.
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C’est déjà le temps pour moi de rentrer à Montréal.
Entre les moments passés à la plage, mes sœurs et ma maman qui m’enseignent à faire des pupusas et mon neveu qui court partout, le temps à passé trop vite.
Nous faisons de nouveau la route tous ensemble dans la voiture en direction de l’aéroport. L’ambiance est lourde. J’ai l’impression de m’en aller à l’abattoir. Qu’on m’arrache de nouveau à ma famille. Je ne sais pas quand je les reverrai et c’est difficile.
On se dit au revoir et on se serre dans nos bras.
Je pense bien avoir pleuré tout le vol du retour.
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Avec le recul et les conversations que nous avons eu, je comprends maintenant que pour ma mère aussi c’était stressant de venir me chercher, de me retrouver. Ma famille a été pris dans le trafic, s’est perdue et a tourné en rond autour de l’aéroport. Maintenant, quand je repense à leur retard, je souris.
À noter que mon père n’est pas celui de mes frères et sœurs.
Me Susana Lina Gonzalez Munoz est l'avocate dont j'ai parlé dans le deuxième article de mon blog. J'ai plusieurs amis dont cette femme a été responsable de leur adoption et j'ai malheureusement de plus en plus de doutes à son égard.
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