« Comment tu t’appelles? »
- Marjorie

- 27 avr. 2023
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 16 janv. 2024
Notre nom, c’est quelque chose qui nous suit toute notre vie.
On se pose rarement des questions sur notre nom. Il provient de notre père, de notre mère ou encore des deux.
On se l’approprie. On est en fier ou moins fier, c’est selon. Mais chose certaine, il vient avec une histoire, des ancêtres.
« Tu ressembles à ton grand-père quand il avait ton âge. »
« Tu as le nez des (insérez un nom de famille ici). »
« Ça c'est du (insérez encore une fois un nom de famille ici) tout craché! »
Ici, je veux prendre le temps de souligner que ma famille ne m’a jamais fait sentir différente. Mais malgré tout l’amour que j’ai reçu et que je reçois toujours, je ne leur ressemble pas. Je n’ai pas leurs gênes, c’est donc bien normal. Mais c’est quand même quelque chose qui, une fois qu’on retrouve ceux qui nous ressembles, nous a manqué sans qu’on s’en rendre compte.

Maman et moi.
****
La première fois que j’ai rencontré les autres guatémaltèques adoptés, nous étions dans un restaurant du Centre-Ville.
Pour tous, c’était la première fois que nous nous retrouvions en présence d’autant de guatémaltèques en même temps. Nous n’étions que six. Nous avons partagé nos histoires, nos expériences. Nous nous comprenions, sans même nous connaître depuis longtemps.
À un certain moment, entres les rires et les échanges, tels des enfants qui rencontrent des pairs pour la première fois, nous avons commencé à comparer nos mains, notre couleur, nos traits, pour réaliser que ce qui ont souvent été nos complexes, ici nous unissaient. Ce moment, il restera gravé dans ma mémoire pour toujours.
****
Depuis que j’ai débuté mes démarches de retrouvailles, tous ces questionnements concernant mon identité sont venus se logés dans ma tête. Ils sont au centre de ma réappropriation identitaire.
Marjorie Lopez. Je suis née Lopez. J’ai été cette personne pendant les premiers mois de mon existence. Et puis, je suis arrivée ici et on m’a émis un nouveau certificat de naissance et mon identité a changé. Je suis devenue quelqu’un d’autre.
Je suis devenue Marjorie Lucier-Normandin. Je suis de ces personnes qui ont un nom de famille composé. Cependant, depuis des années, je n’en utilise qu’un. Reste que sur les documents officiels, je porte toujours les deux.
****

Moi dans la cour arrière de la maison où j'ai grandi.
Qu’est-ce que ma vie aurait été si j'avais gardé mon nom de naissance, Lopez?
Certainement rien de majeure. Je ne serais pas plus devenue une chanteuse internationale ou une scientifique de renommée. Par contre, toutes les questions sur mes origines auxquelles je suis confrontée, encore à ce jour, auraient sûrement été moins fréquentes.
La grande majorité du temps, lorsque je me présente, mon interlocuteur se questionne, parce que mon nom ne « match » pas avec mon visage. Les plus curieux me poseront la question directement. Chaque fois donc, je dois expliquer. Je suis adoptée.
Et chaque fois, c’est un rappel de ma différence. Je suis canadienne, oui. Je suis ici depuis mon tout jeune âge. Ma culture, c’est celle que mes parents adoptifs m’ont transmise. Mais je suis différente physiquement. Je suis petite, ronde, basanée, avec un nez prononcé, des cheveux et des yeux foncés.
Je suis également guatémaltèque, puisque je suis née là-bas. Mes origines et mes racines y sont. Après mon premier voyage, j’ai aussi réalisé que ma stature, contrairement à ici, correspond à 80% de la population du pays. J’ai été moins complexée pendant un instant. Mais je ne connais pas cette culture. Les coutumes et les traditions. Je parle maintenant espagnol oui, mais avec un accent « gringo ». Je ne pourrais pas faire croire à personne que je suis native et que j'y ai grandi.
Le constat est donc que peu importe où, au Canada ou au Guatemala, je semble étrangère. Et ce n’est pas toujours évident, croyez-moi.
****
Ce qui est le plus confrontant pour moi aujourd’hui concernant cette réalité, c’est que chaque fois, ça me rappelle que je n’ai rien choisi de cela. Que des gens ont pris des décisions pour moi et pour ma famille biologique, qui ont encore et toujours des répercussions au quotidien dans ma vie.
Bien que je sois pleinement consciente des enjeux des pays d’Amérique latine, chaque fois que je mets les pieds sur ma terre natale, je m’y sens bien, apaisée. Je ne peux m’empêcher de me demander et d'imaginer ce que ma vie aurait été. Que serait aujourd’hui Marjorie Lopez?
****
Lors d’un précédant voyage, j’ai décidé de faire mon DIP (documento personal de identificación/document d'identification personnel). Pour l’obtenir, j’ai dû me rendre au RENAP (registro nacional de las personas/registre national des personnes) et y demander une copie de mon acte de naissance. Après avoir payé quelques quetzales (monnaie guatémaltèque), on m’a remis le certificat.
Quelle stupéfaction. Sur les documents officiels du gouvernement guatémaltèque, mon nom a été changé. Je suis Marjorie Lucier-Normandin, dont la mère est Louise Normandin et le père est Gilles Lucier. Bien que je les aime beaucoup, ceci n’est pas vrai.
Les documents initiaux, je les ai vu. J’ai été enregistrée à l’État au nom de Marjorie Lopez, fille de Juana Francisca Lopez Ramirez. Le seul lien avec elle, la seule preuve qu’il s’agit de ma maman, a été effacée, remplacée. Je suis alors en présence d’un avocat qui m’aide pour obtenir mon DPI. Il m’explique que ce n’est pas rare que les documents des enfants adoptés soient modifiés ainsi. Moi, j’en suis outrée.
On m’a enlevé quelque chose de fondamental et au fur et à mesure de mes recherches, ce sentiment d'injustice et de colère m'envahira de plus en plus. J’apprends encore à le gérer, un jour à la fois.
Somme toute, je suis aujourd'hui contente d’avoir mon DPI. D’avoir récupéré ma citoyenneté, car elle me revient de droit. Seul le nom y apparaissant me laisse toujours un goût amer.
****




Commentaires